le guignol à roulettes

Pekin 2019 Derrière chez moi en tournée

TIPF, quelques lettres qui depuis deux ans ont pris du sens, et qui cette année 2020 se sont étoffées d'un BEIJING-TIPF, le festival international de marionnettes TAIHU de Pékin. On est à une heure de voiture du centre en direction du Sud-Est, dans la troisième ceinture de Pékin. Taihu est un parc, un lieu de promenade en nature, et de jeu, et un complexe hôtelier et balnéaire, le tout en phase de remodelage. Pour planter le décor, je vais commencer par le plus surprenant de l'histoire.

L'hôtel

Le premier jour nous somme arrivés en taxi devant un hôtel de type soviétique : allée de 300 mètres bordée d'une part de colonnes de 4 mètres de haut coiffées chacune d'un signe du zodiaque chinois, et de l'autre par une ruine industrielle entrecroisement de poutrelles rouillées d'un méga projet jamais achevé. En face il y a la piscine, un peu à gauche l'entrée de l'hôtel. Mais notre chauffeur ne veut pas croire que nous sommes attendus dans cet endroit là, et il continue à tourner dans l'enceinte du complexe balnéaire : nous passons des entrepôts, des cuisines, des logements d'employés, et de question en réponse il finit par nous déposer à l'entrée où nous étions passés plus tôt. Il est sans doute rare que des étrangers soient logés ici. Le hall est une pièce d'une hauteur phénoménale, 12 mètres peut-être, pleine de fontaines, de statues, d'arbres et de petits ponts. La boutique touristique est toujours fermée, comme le bar. Il y a quelques automates à boisson et à ice-cream (une pince commandée se place au-dessus de la glace de votre choix, une trappe s'ouvre et la pince saisit la glace, la soulève et vous l'amène, c'est assez rigolo), mais personne.

La réception est du même acabit Parois entièrement couvertes de bois rares sculptés, hauteurs délirantes, grand comptoir de bois lui aussi et deux jeunes femmes occupées à leurs portables. Ici on ne parle que mandarin, on n'est pas aimable, on ne cherche pas à accueillir l'arrivant, on a besoin de bons, de confirmations, de documents. Bienvenue en économie planifiée. C'est un peu comme si on entrait tout à coup dans une nouvelle de Dino Buzzatti. Il nous faudra trouver les codes de ce monde-là si on veut en sortir vivants !

La chambre est confortable immense, probablement 40 mètres carrés. La baignoire est sous la fenêtre, qui donne sur la promenade intérieure de l'hôtel, un long passage entouré de bassins sans eau, de la largeur d'une avenue, qui sépare les deux ailes de chambres. Elle est carrée, cette baignoire, de deux mètre cinquante sur un mètre vingt et un mètre de haut... pour huit personnes au moins! Inutilisable bien sûr. Qui a inventé cela? Pour atteindre la salle du petit déjeuner c'est le vertige:on traverse tout le grand hall, puis on s'enfonce entre les aquariums ou nagent lentement les futurs plats du jour dans une lumière triste, on traverse la zone des pièces de restaurant privées (c'est en petit groupes que les chinois mangent avec leurs amis, dans des salons meublés d'une table ronde), tout au bout du couloir on monte à l'étage et on traverse une zone en chantier (gravats, échafaudages, mais pas d'ouvriers à cette heure), on change quatre fois de direction et enfin on y arrive. Derrière les fenêtres à croisillons pousse un magnifique jardin couvert de type tropical, inaccessible car en chantier lui aussi : la verrière et les piliers qui la soutiennent sont en ruine. On est tout à la fois dans une ruine habitée, et dans un hôtel qui fut de luxe.

Le Festival

Mais revenons au Festival. Je m'attendais au pire. J'avais déjà vu des organisateurs chinois traiter des artistes étrangers : 2000 personnes au lieu des 100 demandés, pas de matériel technique adéquat, pas le temps de monter la scénographie, fanfare jouant à côté de la salle pendant le spectacle, pas de contact avec les artistes locaux ni avec le public, difficulté d'encaisser le cachet promis. J'allais être extrêmement surpris. Han Chi est au milieu de son équipe, de jour comme de nuit, accompagnée de M. Yang. Elle est marionnettiste, et l'âme du Festival, sa directrice artistique. Lui est le responsable politique du projet, le représentant de l'Etat, le « sponsor ». Le festival fonctionne grâce à une vingtaine de bénévoles très jeunes et très motivés. Les responsables sont des collaborateurs proches de Han Chi, les membres de sa compagnies. Tout se fait en gentillesse et savoir faire. Dès le premier instant on se sent accueillis et on se sent bien. Et puis tout roule à merveille. Nous avons le temps nécessaire à monter, le personnel qualifié, le matériel attendu. C'était en 2018, avec « Touda et Paki ». Après cette magnifique expérience nous avons accepté sans retenue aucune l'invitation qui nous a été faite en 2019 de jouer « Derrière chez moi ». Cette fois c'est la sensation tellement agréable de se sentir à la maison qui nous prend à peine arrivés à Taihu. Le festival a pris ses marques, il devient un événement. Nous comprendrons un peu plus tard que ce succès hors des sentiers battus crée des jalousies puissantes dans le milieu des professionnels chinois de la marionnette. Nous nous sentons bien, on a choisi notre camp, ici les choses se font avec cœur, et avec intelligence.

Et le public? Chaque spectacle est joués 3 fois dans la journée, et chacune des tentes installées sur le site abrite un spectacle différent chaque jour. Malheureusement, les artistes ne peuvent pas voir ainsi le travail de leurs collègues. Le système fonctionne très bien en ce qui concerne le public, et nous jouons devant des salles pleines. « Derrière chez moi » passe plus difficilement auprès du public chinois : les marionnettes sont moins originales que celles de « Touda et Paki », le visuel est plus statique et moins surprenant. Le thème par contre soulève un débat où les opinions contradictoires s'exposent : il faut protéger la nature / on a besoin d'infrastructures, d'autoroutes et de trains.... les enfants se font prendre en photos, il est temps de remettre nos affaires dans les bagages de sport pour le long voyage. Cette année c'est Sandra Romanelli qui a géré la technique. Nous allons rester une semaine à Pékin en sa compagnie, délicieux moments.

La Ville

Pékin est une des villes les plus agréables au monde. Il est bon d'avoir beaucoup de temps pour flâner. Nous avons passé une journée au palais d'été. On n'y trouve pas le raffinement extrême des jardins de Suzhou, près de Shanghai, et ce palais sent très fortement le pouvoir impérial, mais il nous plonge tout de même dans une atmosphère unique et bienfaisante. Un autre jour nous avons cherché cette rue qui a plusieurs noms et qui est entièrement consacrée au commerce du thé. Les immeubles de plusieurs étages abritent des boutiques de petits marchands, d'autres ont pignon sur rue et chacun a ses spécialités. De dégustation en dégustation on finit par comprendre mieux les subtilités de la chose. Le Musée National nous embarque dans l'histoire ancienne de la Chine : merveilles de bronze et céramiques. Les souvenirs de Shanghai remontent avec ces tissus merveilleux produits par les traditions de tous ces peuples qui font la chine. A Shanghai le discours est plus ouvert sur la pluralité, la douceur de vivre, une certaine finesse. A Pékin il semble que le pouvoir ait marqué depuis fort longtemps le discours culturel : monuments, célébrations, force.

On se ballade tous les jours dans les ruelles, les fameuses Hutong. Dans le lointain les plus hauts buildings du pays se dressent, élégants et brillants. Un ami me dit que lorsqu'il a pris son poste à Pékin il y a plus de vingt ans, toute la ville était faite de Hutongs. Il en reste quelques petits îlots, que l'on préserve et choie actuellement pour que le centre ville garde quelque chose de son âme ancienne, comme à Sichahai où nous logeons. Mais la ville moderne ne déçoit pas, les meilleurs architectes du monde ont travaillé ici, et cela se sent. La ville est belle, que cela soit dans le quartier dessiné par Zaha Hadid, ou parmi les tours de Sanlitun, comme aux alentours de l'opéra.

Modernité / tradition

Le festival continue et cette semaine les spectacles ont lieu au centre ville, et sont destinés aux adultes. Je ne sais pas d'où viennent exactement les cinq marionnettistes-musiciens-conteurs que nous verront ce soir là, mais c'est d'une toute petit ville au Nord du pays. Comme dans tous les spectacles campagnards que j'ai vu en Chine, le résultat est éblouissant. C'est probablement en partie parce que ces hommes ne cherchent pas à produire un événement culturel. Ils ne sont adulés par personne, aucun responsable de parti ne les a invités à meubler la soirée entre poire et fromage, ils ne portent pas la responsabilité de l'esthétique de leur spectacle, qui est traditionnelle, ni celle de leur histoire, qui elle aussi vient de loin. Ces homme interprètent, du fond du cœur. Il n'y a là rien de sacré, comme c'est le cas à Bali par exemple. Ils perpétuent simplement la tradition et s'amusent, et c'est un moment magnifique. Le public de Pékin, ce soir-là, est cultivé. Ce sont de jeunes adultes pour la plupart, presque tous chinois, et l’enthousiasme qu'éveille chez eux cette tradition fait plaisir à voir : beaucoup restent longtemps après le spectacle pour discuter, questionner, observer. C'est de bon augure pour l'avenir de la tradition paysanne de la marionnette chinoise.

Coda

La boucle est bouclée, Pékin grandit et soigne son passé, nos valise sont à l'aéroport, il est temps d'appeler le dernier taxi. Nous sommes le 15 octobre 2019, aucune épidémie en vue.

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